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Surprenant engagement dans les négociations internationales
Johan Friedli
Libéralisation des services. La Suisse est très active dans le projet d’accord qui a été en partie révélé par Wikileaks.
Plusieurs accords commerciaux majeurs se négocient actuellement dans le monde: le TTIP/ Tafta (Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement), le TPP (Partenariat transpacifique) et le Tisa (Accord sur le commerce des services) qui est négocié à Genève sous la conduite des Etats-Unis, de l’Australie et de l’UE. Si les deux premiers font l’objet d’une grande attention, le dernier se veut plus confidentiel. Il s’agit pourtant d’une pierre angulaire des deux autres accords.
Wikileaks a récemment publié 11 annexes du Tisa qui sont en cours de négociations, les demandes d’accès aux marchés de la Turquie et d’Israël par l’UE , ainsi que 4 documents de travail provenant de la Commission européenne et du Japon.
L’une des annexes la plus longue traite du commerce électronique, et la Suisse y a activement contribué. Elle demande que les fournisseurs de services ne soient pas contraints de posséder des infrastructures nationales pour développer un commerce. Et l’interdiction de toute forme de préférence nationale s’agissant des infrastructures locales.
De plus, la Suisse soutient la disposition qui protège la libre circulation des données, dont les informations personnelles à l’intérieur et à l’extérieur des territoires, du moment où elle est en lien avec l’activité du fournisseur. Les Etats-Unis se sont opposés à une proposition de la Suisse qui veut garantir la liberté d’accès ou de transfert électronique des données publiques ou internes pour les fournisseurs et leurs clients. La Suisse a aussi proposé des mesures pour la protection des données privées, et la défense des consommateurs face aux pratiques frauduleuses.
Dans le cadre de l’annexe sur les services de télécommunications, Berne s’est opposée à plusieurs reprises à l’obligation pour les majors de garantir un accès non discriminatoire de leurs infrastructures. Une mesure en particulier proposée par l’UE, le Canada et la Norvège. Elle propose une alternative pour favoriser les interconnexions entre les réseaux, et soutient la nécessité d’une réglementation pour éviter les pratiques anticoncurrentielles. La Suisse propose une clause sur le devoir d’indépendance des autorités de régulation, mais elle s’oppose à ce que leurs décisions soient rendues publiques. Elle est aussi opposée à la possibilité pour les régulateurs d’accorder des exceptions à certains fournisseurs.
Une version de l’annexe sur les services financiers datant de février 2015 fait partie des documents révélés. Elle contient une clause qui impose aux Etats de ne pas accorder de traitement préférentiel aux fournisseurs de services locaux, en particulier par leur acquisition par des entités publiques. Cette mesure a été proposée par les Etats-Unis et l’UE. Elle est largement soutenue, avec peu d’opposition. Même Hong Kong et Taiwan étudient cette option. La Suisse ne semble pas s’être prononcée sur le sujet, bien qu’elle paraisse directement concernée. Dans tous les cantons en effet, à l’exception de Genève, Vaud et Berne, l’Etat se porte entièrement garant des engagements de la banque cantonale. Sans oublier qu’il en est actionnaire principal et en définit les lignes principales.
Le Tisa est basé sur des engagements en matière d’accès au marché (en particulier le non-recours à des limitations liées à la forme juridique des entreprises ou à la répartition de leur capital), et en matière de traitement national (non discrimination des fournisseurs étrangers vis-à-vis des sociétés nationales). L’accès au marché serait réglé selon des listes positives, ce qui veut dire que seuls les secteurs cités seraient concernés. Le traitement national serait en revanche lié à des listes négatives, ce qui signifie que tous les services seraient concernés (sauf s’ils sont explicitement exclus dans l’accord). Les engagements sur le traitement national seraient soumis au principe de «Standstill and ratchet». Ce qui signifie que la législation nationale en matière de libéralisation serait gelée au moment de la ratification du traité, et que les Etats ne pourraient plus revenir en arrière sur leurs décisions de libéralisation des services. Un système que la Suisse aborde avec prudence et qui est loin de faire l’unanimité de la sphère politique.
L’accord Tisa ne se fera pas dans l’indifférence
Les publications de Wikileaks sur Tisa semblent avoir un faible écho en Suisse. Le conseiller national Jean Christophe Schwaab (PS/Vaud) est un de ceux qui suit le dossier de près. Il estime que ces accords qui visent à supprimer des entraves au commerce vont entraîner une dérégulation des secteurs concernés. Selon lui, la ratification d’un tel accord serait une atteinte à la souveraineté, car l’impact sur les cantons et les communes serait grand sans qu’ils puissent avoir leur mot à dire. La Suisse négocie Tisa sur la base du mandat reçu dans le cadre du Cycle de Doha de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), mais la différence majeure est la présence de listes négatives et du principe de «Standstill and ratchet» dans Tisa. «Le problème fondamental de ce système est qu’après l’entrée en vigueur du traité, tout ce qui n’a pas été exclu est soumis aux engagements. Y compris des technologies n’existant pas lors de sa ratification», prévient Jean Christophe Schwaab, prenant l’exemple de la législation sur la robotique. Il estime aussi que l’absence des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) des négociations est contradictoire avec la volonté multilatérale de la Suisse. La complexité du sujet fait que malgré l’importance des révélations de Wikileaks, les réactions se font rares sur la place publique. Cependant, le Conseil national a déjà déposé plusieurs interpellations et Jean Christophe Schwaab annonce une deuxième vague de réactions, notamment dans le cadre des débats sur les services postaux. – (JF)