MULTILATERALISME 2.0 – les ministres du commerce vont-ils relever le défi?

1 December, 2009

MULTILATERALISME 2.0 – les ministres du commerce vont-ils relever le défi?
Par Anne-Laure Constantin, IATP

CONTENU

I. LA LUTTE POUR TENTER DE CONCLURE DOHA: les négociateurs avancent lentement pour aller nulle part

II. LES MININISTRES ARRIVENT A GENEVE: que vont-ils faire de cette opportunité?

III. UN NOUVEAU MUR A FAIRE TOMBER: quels efforts pour y parvenir?

IV. DATES A RETENIR

L'Organisation mondiale du commerce (OMC) se prépare pour sa 7e conférence ministérielle qui se déroulera du 30 novembre au 2 décembre 2009 à Genève. Tandis que les ministres du commerce font leur valise, certains doivent se demander si le voyage vaut la peine. Plus d’un an après l’effondrement de la rencontre mini-ministérielle de juillet 2008, les négociations de Doha n’ont pas avancé d’un iota. Elles auraient même reculé, d’après certains représentants de pays en développement.

Confronté à des crises multiples, le monde a urgemment besoin d’une nouvelle manière d’envisager les échanges commerciaux, que l’on nomme « Multilatéralisme 2.0 » dans le vocabulaire diplomatique Mais les dirigeants n’aiment pas le changement. Que faudra-t-il pour les convaincre?

I. LA LUTTE POUR TENTER DE CONCLURE DOHA: les négociateurs avancent lentement pour aller nulle part
Dans la déclaration finale du Sommet du G20 qui a eu lieu à Pittsburgh en septembre 2009, les gouvernements s’engageaient à « faire aboutir le Cycle de Doha en 2010 ». Cette intention a résonné jusqu’à Genève, où les négociateurs se sont demandés comment transposer cet objectif dans la réalité. Le Directeur général de l’OMC, Pascal Lamy, a proposé un programme de travail intensif pour les mois d’octobre et de novembre. Mais les capitales n’ont envoyé aucune nouvelle instruction et aucun nouveau Représentant américain au commerce n’est arrivé à Genève. Des réunions ont donc eu lieu, certaines ne durant pas plus d’une demi-heure par manque de matière, d’autres atteignant des niveaux de complexité sans précédent pour prétendre à des engagements - comme les discussions sur les listes d’engagement pour l’agriculture, par exemple. Mais aucun progrès n’a été réalisé. Lors du Comité des négociations commerciales le 23 octobre dernier, de nombreux membres se sont plaints du fait que les négociations régressaient. Les dirigeants du G20, lorsqu’ils se réuniront la prochaine fois, auront vite fait de « passer en revue les progrès des négociations», (comme ils ont promis de le faire en juin 2010): repousser une fois de plus le délai pour conclure un accord dans le Cycle de Doha ne devrait leur prendre que quelques minutes !

L’élément central de l’impasse : les hésitations de l’administration Obama en matière de politique commerciale. Pris entre le Congrès — où des voix influentes continuent de réclamer un accès au marché plus important pour les entreprises basées aux Etats-Unis — et les syndicats désabusés qui réclament des politiques commerciales favorisant les travailleurs plutôt que les actionnaires, le Président Obama doute.

D’autres membres de l’OMC à Genève ont hâte de voir enfin un ambassadeur des Etats-Unis auprès de l’OMC en fonction, mais le Sénat n’a pas été en mesure de nommer Michael Punke à temps pour la Conférence ministérielle. Une chose est certaine : les réponses de M. Punke aux sénateurs lors du processus de nomination démontrent peu d’entrain pour l’innovation. Sur le coton, les subventions agricoles, l'accès aux marchés et les services, la plupart de ses réponses étaient similaires à celles d’un représentant de l'administration Bush. Dans une réponse à Max Baucus, président du Comité des finances du Sénat, Punke a insisté sur le fait que « dans le cas d'une nomination, fera tout pour parvenir à un accord offrant d'importantes opportunités aux exportateurs américains. » Voilà pour ce qui est des nouvelles opportunités promises aux pays pauvres en 2001!

Pendant ce temps à Genève, le représentant américain au commerce insiste pour obtenir des informations claires sur les concessions en terme d’accès aux marchés de la part des pays en développement les plus importants. A cet effet, les Etats-Unis rencontrent régulièrement le Brésil, la Chine, l'Inde et certains autres membres de l'OMC sur une base bilatérale. Mais ce processus crée davantage de frustrations que de progrès : de nombreux pays se plaignent d’être exclus des négociations et les pays émergents ont peur de se retrouver au pied du mur. La situation des Etats-Unis ne constitue toutefois pas l'unique obstacle au Cycle de Doha. Comme le déplore l’ONG internationale Oxfam dans son rapport de juillet 2009 Empty promises, l’élément « développement » du Cycle a presque totalement disparu de l'agenda, un avis partagé par les négociateurs des pays en développement à Genève. Le processus d’engagement bilatéral a ravivé les craintes de voir émerger un paquet favorisant la plupart des économies importantes de la planète au détriment des pays pauvres. Dans un communiqué rédigé au Caire le 29 octobre dernier, les ministres africains du commerce se sont exprimés sans ambiguïté: « Nous sommes d’avis que les consultations informelles bilatérales et plurilatérales peuvent être utiles pour augmenter la compréhension mutuelle. Cependant, ces consultations ne peuvent pas se substituer à un authentique processus multilatéral et ne devraient pas non plus porter atteinte aux consensus déjà recueillis dans le contexte multilatéral. » Les neuf années du Cycle de Doha n’ont fait qu’augmenter la méfiance parmi les membres de l’OMC. Les désaccords sur la nature du mandat et sur la manière de mener les négociations n'ont sans doute jamais été aussi marqués qu’aujourd’hui. Des observateurs du monde entier se demandent ce que les ministres du commerce attendent pour le reconnaître. Le déni ne fait qu’entretenir un inacceptable statu quo qui risque de durer quelques années encore. La coupe est pleine.

II. LES MINISTRES ARRIVENT A GENEVE: que vont-ils faire de cette opportunité?

La décision de convoquer la 7e Conférence ministérielle de l’OMC a été approuvée par le Conseil général au mois de mai dernier. Comme le dispose l’accord fondateur de l'OMC, ses membres doivent se réunir « au moins une fois tous les deux ans » au niveau ministériel. Cependant, depuis la rencontre de Hong Kong en 2005, Pascal Lamy attendait la conclusion de Doha avant de reconvoquer les ministres du commerce. Quatre ans plus tard, aucun accord final n’est en vue et l’OMC risque de perdre sa crédibilité. A la place, les ministres du commerce sont invités à débattre de « l’OMC, du système commercial multilatéral et de l’environnement économique mondial », une manière de les encourager à prendre l’OMC comme point de référence en termes de stabilité économique. Plus spécifiquement, les ministres vont se concentrer sur la « révision des activités de l’OMC, y compris du programme de travail de Doha » le premier jour et sur « la contribution de l’OMC à la reprise, à la croissance et au développement » le jour suivant.

Les sujets de discussion entourant ces deux vastes thèmes ne manquent pas: les ministres pourraient par exemple débattre des leçons tirées de la crise des prix alimentaires par rapport à la contribution de l'OMC à la sécurité alimentaire et tirer des conclusions sur comment poursuivre la réforme des règles commerciales agricoles. De fait, d’après un rapport du Ministère de l’agriculture des Etats-Unis (USDA) datant de 2008, « la dépendance aux importations alimentaires a augmenté au cours des trente dernières années. » Pour les pays les moins développés notamment, l’étude de l'USDA arrive à la conclusion que – comme conséquence de cette dépendance — l’augmentation des prix de 2007 entraînera une augmentation de huit pourcent du déficit alimentaire (c'est-à-dire la quantité de nourriture nécessaire pour augmenter la consommation de toutes les catégories de revenus vers le seuil nutritionnel de 2100 calories par personne environ). Une raison suffisante pour reconsidérer les supposés bénéfices du libre-échange en termes de sécurité alimentaire ?
Comme alternative, les ministres pourraient se demander si une libéralisation accrue des services financiers est une stratégie raisonnable en sachant que les règles définies ne sont elles-mêmes pas appliquées; ils pourraient également se demander si faciliter les échanges pour le secteur des biocarburants aidera à freiner le changement climatique au vu des derniers signes...Les sujets de discussion ne manquent pas. Les ministres pourraient faire le point sur l’impasse de Doha et définir de nouvelles règles qui permettraient de s'assurer que l'OMC est en mesure de relever les défis du 21e siècle.

Mais aucun de ces sujets pourtant cruciaux ne sera placé au cœur du débat. Le sujet principal de la rencontre ne soulève en réalité que peu d’attention. Au lieu de cela, les ministres vont se pencher sur une série de rapports traitant de sujets secondaires allant de l'e-commerce aux restrictions dans le cadre de la balance des paiements en passant par les échanges dans l’aviation civile. Dans un deuxième temps, les représentants vont entamer des négociations pour essayer de faire progresser Doha.

Le 16 octobre 2009, l’Inde a fait circuler une proposition au nom d’un groupe plus important de pays pour initier un processus permettant de « réviser le fonctionnement [de l’OMC], son efficacité et sa transparence et de considérer les améliorations systémiques, de manière opportune ». Cette proposition n’a pas soulevé l’enthousiasme. Cependant, elle fera l’objet de discussions lors de la rencontre ministérielle et pourrait se transformer en mandat pour le Conseil général. Ce serait un pas dans la bonne direction. Cependant, à moins que les membres de l’OMC ne décident d’être sérieux dans leur évaluation sur les conséquences de 25 années de règles concoctées par le Cycle de l'Uruguay pour leur économie, il est fort probable que ce processus ne soit rien de plus qu’un exercice formel.

Récemment, Pascal Lamy a demandé que la Conférence ministérielle « facilite l'engagement politique requis pour conclure le Cycle l'an prochain » (discours du 17 novembre au Conseil général). Les ministres ont été mis en garde contre la tentation de s’éloigner de l’habituelle déclaration de soutien pour une conclusion rapide du cycle, en dépit du fait que ces déclarations se sont avérées vaines au cours des quatre dernières années.

III. UN NOUVEAU MUR A FAIRE TOMBER: quels efforts pour y parvenir?

Le 9 novembre 2009, l’Europe célébrait le 20e anniversaire de la chute du mur de Berlin. Les festivités tournaient pour la plupart autour du triomphe des droits politiques et civils sur la dictature et la censure. Pourtant, de nombreux observateurs en ont profité pour parler de la confusion que la fin du monde bipolaire a déclenchée non seulement en Europe mais également dans le reste du monde. Parmi eux, Pascal Lamy a déclaré que « la fin de la guerre froide a pris tout le monde de court (…) ». En 1989, un nouvel ordre mondial voyait le jour. Cependant, ses structures de gouvernance n’ont pas été suffisamment élaborées ni débattues. Il n’y a jamais eu de conférence de Bretton Woods ou de San Francisco après 1989. Par conséquent, les structures de gouvernance mondiales ne sont pas adaptées au contexte, ce qui explique nombre de problèmes rencontrés actuellement (discours à l’Université de Bocconi à Milan le 9 novembre).
M. Lamy n’est pas allé jusqu’à convoquer une conférence de Bretton Woods pour le 21e siècle, peut-être car elle empêcherait la conclusion du Cycle de Doha. Une telle proposition aurait cependant l’avantage d’inclure certains critiques de M. Lamy, qui décrètent depuis des années que le système multilatéral a besoin d'être revisité. Si la crise économique et financière colossale que travers le monde aujourd’hui n’est pas suffisante pour déclencher cette réforme, quel événement le sera?

Malheureusement, on ne peut nier la réalité: les gouvernements et les institutions intergouvernementales sont incapables de collaborer pour s'attaquer aux crises multiples qu'ils affrontent. Dernièrement, le Sommet mondial sur la sécurité alimentaire organisé par l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) du 16 au 18 novembre 2009, n’a produit que des discours vides. De plus, les pays développés essaient de diminuer l’importance du Sommet de l’ONU sur le climat (Copenhague) à mesure que celui-ci se rapproche. Bien que l’on progresse dans notre compréhension des origines de la crise financière, c'est encore insuffisant. Et ces processus sont menés indépendamment les uns des autres, comme c’est le cas des négociations de Doha, au lieu de les considérer dans leur ensemble.
Les négociations de Doha se sont enlisées tant parce que l'ordre du jour n’est plus d’actualité que parce que le nouvel équilibre des pouvoirs ne permet pas les mêmes prises de décision que pendant le Cycle de l’Uruguay, lorsque deux membres (les Etats-Unis et l’Union européenne) pouvaient convenir d’un accord et l'imposer aux autres membres. Le Brésil a été le premier grand pays en développement à prendre un rôle de leader à l’OMC. Il a été suivi par l’Inde et plus récemment, par la Chine. D’autres pays en développement sont également plus conscients des règles du jeu et les pays africains ont pu actionner un levier grâce au cas du coton. La crise économique mondiale et la manière dont le G20 a supplanté le G8 comme forum central de décision économique ne fait que renforcer le poids des pays émergents.
L’OMC a besoin de s’orienter vers une nouvelle version du multilatéralisme – une vision plus interactive, décentralisée et centrée sur les besoins des utilisateurs, c'est-à-dire une approche qui place les intérêts des personnes au centre: un sorte de « multilatéralisme 2.0 » Tout d’abord, cela implique de remettre l'accent sur le préambule de l'Accord de Marrakech instituant l'OMC, qui définit des objectifs globaux pour l'organisation: « amélioration des conditions de vie », « développement durable » et « protection de l’environnement ». L’obsession autour des droits de douane et des subventions au détriment des objectifs de politique publique doit prendre fin.

Par ailleurs, les gouvernements doivent débattre des détails des nouveaux accords, en intégrant d’autres parties intéressées. Le monde regorge d’idées, qu’elles proviennent du milieu académique, des experts de la société civile ou même de représentants gouvernementaux. Inclure les régionalismes et dessiner un rôle pour l’OMC en construisant des ponts entre les différents accords en est une. Revoir les processus de prise de décision pour permettre l’intégration et la transparence en est une autre. Il est évident que l’OMC doit également revoir sa relation au système multilatéral ainsi que sa manière de déférer aux compétences d'autres organes intergouvernementaux de droits humains et de développement plutôt que de réduire les mandats de ces organes à un élément de la matrice de la politique commerciale.

Dans son discours à Milan, Pascal Lamy a évoqué cinq ingrédients qui fonctionnent pour un système de gouvernance: le leadership; la légitimité; la propriété; l’efficacité afin d’aboutir à des résultats pour le bien des populations ; et la cohérence. En effet, il s’agit là de bons indices de référence pour évaluer la gouvernance mondiale ainsi que la contribution de l’OMC. Les ministres du commerce vont-ils s’en servir pour « revoir les activités de l’OMC » ? Les groupes de la société civile se réunissant en marge de la conférence vont certainement le faire.

IV. DATES A RETENIR

30 nov. - 2 décembre: 7e Conférence interministérielle de l’OMC
7 -18 décembre: Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (UNFCCC)
27 – 31 janvier 2010: Rencontre annuelle du Forum économique mondial à Davos, Suisse
Juin 2010: Sommet du G20 au Canada